On retrouve l'idée du tantrisme dans toutes les voies de l'orient. En passant par la voie du Vajrayana des Bouddhistes tibétains, en continuant au Japon par la voie du zen. Chine, Inde, Japon,..., il semble que tous les pays asiatiques ont développés cette vision.
Nous pouvons aussi étudier un être comme Abhinavagupta, un des plus grands maîtres de l'Inde (esthéticien, philosophe, ..) ayant vécu au Cachemire vers la fin du 10e et au début du 11e siècle de notre ère et qui nous a laissé des textes extraordinaires sur cette vision, traduits par Lilian Silburn (Directrice de recherche au CNRS).
On trouve dans ses traductions un texte du nom de Vijnana Bhairava Tantra (La discrimination de la Réalité ultime), qui est le grand texte du tantrisme et qui fait partie des plus anciens Tantra ou Agama (textes révélés) de l'Inde.
Transmis de maitres à disciples oralement, on ne trouve pas beaucoup de traces écrites de ce texte avant notre ère.
Le tantrisme vise essentiellement l'intériorisation et l'arrêt du processus dichotomal de la pensée. Il est axé sur l'expérience de l'intériorité, une intériorité absolue de la conscience, par opposition à la dispersion de l'extériorité qui met en place une relation du sujet, de l'objet et de l'observation.
L'unité rechercher est totale et sans retour, elle se nomme Bhairava.
La notion de bonheur n'existe pas à proprement parler dans cette vision. Le monde est souffrance et la souffrance vient de l'ignorance. Ignorance qui me fait me considérer comme un individu séparé du reste, et qui me fait voir les objets comme étant séparés de moi. Cette discrimination entraine l'idée psychologique et tout le processus psychologique se met en place ici par la codification et la teinte que prends l'observation de l'objet extérieur à moi. Cette codification et ces teintes sont apportées par ma culture, mon histoire, mon personnage dans son histoire, et me poussent à aimer ou rejeter telle ou telle autre événements qui se proposent, de ces états d'âme apparaissent tous nos troubles qui se figent dans notre structure énergétique de notre corps.
Le tantrisme tente alors de faire feu de tout bois pour permettre à la conscience de retrouver son état indivise, et ne se préoccupe pas de la relation psychologique qui reste totalement stérile pour atteindre à un bonheur utopique, psychologique, mais voit l'arrêt des souffrances par la maitrise du mental, des souffles, des énergies et de l'esprit.
Il est fortement à regretter que notre monde perdu dans la recherche effrénée de l'émotion liée à l'image ne voit dans le tantrisme que la part des pratiques sexuelles et occulte totalement tout le reste de cette extraordinaire voie.
Dans le Vijnana Bhairava Tantra on trouve 112 techniques de méditation, seules 3 parlent de la méditation dans un acte sexuelle, et l'une de ces 3 est relative à l'imaginaire.
L'aspect le plus difficile à comprendre c'est que le tantrisme est une expérimentation de l'instant présent, dans l'acte, et ne peut se comprendre par l'intellect. La prise de conscience doit avoir lieu pendant l'action (vimarsha), alors le processus en cours disparait pour laisser place à la conscience absolue, indivise, lumineuse (prakasha). L'énergie de l'acte ne se perd pas, ou ne se brûle plus dans l'acte lui-même (par la sensation de plaisir ou de déplaisir) mais permet à la conscience de monter, s'ouvrir et transcender l'individu qui retrouve alors sa réalité.
Pour arriver à cela, les énergies dans l'action doivent être totalement libérées, comme par exemple un parent qui se jette sous les roues d'un camion pour sauver son enfant.
La psychologie n'a donc pas de place ici, car elle fait appel à une conscience qui n'est pas dans l'action et qui laisse l'individu dans son histoire avec ses mensonges, doutes, peurs, inhibitions, frustration.
La conscience avant l'action est la morale, elle inhibe l'action
La conscience pendant l'action est frustration, elle met en place l'idée de compétition.
Enfin la conscience après l'action est psychologie et débouche sur la tentative d'expliquer l'action et apporte la culpabilité...
Mais l'action n'est alors jamais libre, libérée et libératrice.
Enfin, la sensation de bonheur, si on recherche cette chose dans notre vie, peut-être atteinte par la plénitude (à l'inverse de dépression) de notre être et peut-être rapidement vécue et installée profondément par un travail conscient sur notre respiration.
Je finirai simplement en citant ces strophes du Vijnana Bhairava Tantra :
20-21- Si celui qui pénètre dans l'état de l'énergie réalise qu'il ne s'en distingue point, son énergie divinisée (saivî) assume l'essence de Siva et on la nomme alors 'ouverture'. De même que, grâce à la lumière d'une lampe ou aux rayons du soleil, on prend connaissance des diverses portions de l'espace, de même, O Bien-aimée c'est grâce à son énergie que l'on peut connaître Siva.
22-24 - la déesse dit:
O Dieu des dieux Toi qui portes l'emblème du trident et as pour ornement la guirlande de crânes, (dis-moi) par quels moyens on peut apercevoir l'état qui a forme de plénitude propre àBhairava, qui échappe au temps et à l'espace et défie toute description. En quel sens dit-on que la suprême Déesse est l'ouverture qui lui (donne accès) ? Instruis-moi O Bhairava, afin que ma connaissance devienne parfaite.
Bhairava répond:
Il faut exercer une poussée ascensionnelle sur la suprême (Energie) formée de deux points (visarga, que sont) le souffle expiré, en haut, et le souffle inspiré, en bas. la situation de plénitude (provient) de ce qu'ils sont portés (ou maintenus) sur leur double lieu d'origine
Commentaire.
Tout comme le soleil se lève à l'est et se couche à l'ouest, le souffle expiré (prâna) se lève dans le coeur et se couche dans le dvâdasânta extérieur, le souffle inspiré (apâna ou jîva) poursuit le cours inverse. Lorsqu'il s'agit du fonctionnement ordinaire du souffle, le dvâdasânta se situe extérieurement à douze largeurs de doigts au delà de l'extrémité du nez, point précis ou le souffle expiré disparaît. Mais chez le grand yogin, lors du fonctionnement de son énergie vitale que désigne le terme uccâra, surrection, le souffle au lieu de se frayer un chemin vers le dehors, emprunte la voie médiane (susumnâ) pour s'élever du coeur jusqu 'au dvâdasânta intérieur lequel se confond à ce moment avec le bramarandhra situé au sommet du cerveau. L'énergie assume alors son aspect infiniment subtil de kundalini figurée ici par le visarga qui s'exprime en devanâgarî par deux points ( : ) et, phonétiquement, par une légère aspiration du souffle.
Ce visarga ne se comprend bien que par rapport au bindu à l'origine il n'existe qu'un seul point, le bindu, qui symbolise l'unique .Siva; mais aucun mouvement ne pouvant se produire dans l'unité indivise, le bindu doit se scinder en deux pôles entre lesquels s'effectuera le mouvement spécfique propre au visarga.
Les courants vitaux centripètes et centrifuges (prâna et apâna) fonctionnent constamment et toujours de concert. Un sloka précise que sous forme de HA et de SA ils engendrent en fusionnant en un point (bindu M) la formule HAMSA, l'état du milieu ou vacuité dans laquelle s'unissent puis disparaissent les énergies inspirées et expirées.
Les souffles prennent naissance en deux points.' le lotus du coeur et le dvâdasânta et c'est là qu'ils se reposent lorsque la respiration est suspendue. Maintenus dans leur espace respectif ils s'intériorisent ('antharmukha,) et acquièrent une certaine plénitude. On nomme visrânti, repos du souffle, l'intervalle (madhya) durant lequel le souffle ni n 'entre ni ne sort. Ainsi la plénitude à laquelle notre verset fait allusion est celle du visarga partout présent et toujours chargé d'énergie vitale accumulée du fait que chacun des points qui le constituent se trouve alternativement rempli d'énergie. Mais plus encore, elle est faite de la félicité qui accompagne le fonctionnement automatique et spontané des souffles introvertis et bien équilibrés en samâna.
Cette pratique peut appartenir à l'une ou à l'autre des trois voies selon l'interprétation du terme visarga ; si l'on identifie les deux pôles à la subjectivité (ahantô) et à l'objectivité (idanta), il s'agira de la voie de Siva. Ou 'on en fasse les énergies de connaissance et d'activité, le yogin suivra la voie de l'énergie. Par contre, à qui s avance doucement sur la voie de l'individu, ces pôles ne représenteront que les souffles inspirés et expirés. Mais quelle que soit l'interprétation donnée, le yogin réside dans la plénitude indifférenciée, à la jonction de ces deux pôles, dans l'état nu de l'énergie, état plénier de Bhairava.
Denis
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Haimavati